~~NOTOC~~ @DATE@ ---- ====== [Le Monde – Sacha, 48 ans, prostitué : « Mes clientes, elles prennent rendez-vous un mois à l’avance. Elles ont déjà posé leur RTT et prévu à quelle heure ça se finirait »]( ====== [Le Monde – Sacha, 48 ans, prostitué : « Mes clientes, elles prennent rendez-vous un mois à l’avance. Elles ont déjà posé leur RTT et prévu à quelle heure ça se finirait »](https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2024/05/04/sacha-48-ans-prostitue-mes-clientes-elles-prennent-rendez-vous-un-mois-a-l-avance-elles-ont-deja-pose-leur-rtt-et-prevu-a-quelle-heure-ca-se-finirait_6231517_4497916.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default ) Vous pouvez partager un article en cliquant sur l’icône de partage en bas à droite de celui-ci. La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite. Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente. 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Par Audrey Tonnelier Par Audrey Tonnelier Par Audrey Tonnelier Aujourd’hui à 06h00, modifié à 10h51 Lecture 15 min Article réservé aux abonnés Offrir Sacha, à Paris, le 24 avril 2024. ALIOCHA BOI POUR « LE MONDE » Je m’appelle Sacha, j’ai 48 ans et je me définis comme « sexothérapute », un mix entre la prostitution et la sexothérapie. Beaucoup de travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) ont le sentiment d’avoir une utilité sociale non reconnue : on se dit souvent qu’on devrait être remboursés par la « Sécu » ! Après tout, on gère une partie des problématiques sexuelles de la société. On est tous un peu sexothérapeute, quand on est pute. Mes clientes ne viennent pas me voir pour s’amuser lors d’une soirée sans lendemain. Ce sont des femmes qui estiment avoir rencontré des difficultés sexuelles, ou qui ont besoin de retrouver de la considération pour leur corps. C’est un truc suivi, sur plusieurs mois, plusieurs années. Je précise tout de suite que je ne suis pas représentatif de la profession : il y a entre 30 000 et 44 000 TDS en France, des femmes à 85 %. Et, parmi les hommes, plus de huit sur dix travaillent « en gay ». On n’est qu’une poignée dans mon cas. « Je ne vends pas mon corps, je vends une prestation » Dans mon ancienne vie, j’étais technicien supérieur en écologie. Pendant longtemps, j’ai bossé pour le WWF sur la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, dans des associations d’écologie urbaine, pour une chambre d’agriculture… J’ai aussi été éducateur en environnement dans des collèges et des lycées. Puis, j’ai traversé une sorte de crise de la quarantaine : j’en ai eu marre du salariat où on te donne ta paye sans aucune reconnaissance, et tu dois fermer ta gueule. Un burn-out, un divorce, et j’ai changé de vie. LA SUITE APRÈS CETTE PUBLICITÉ J’avais depuis longtemps une sexualité curieuse : au moment où je me lance, ça fait déjà une vingtaine d’années que j’explore avec mes partenaires autour du BDSM [bondage, domination, sadomasochisme], du jeu de rôle, des festivals érotiques… L’idée a grandi en même temps que la variété de mes pratiques. Et puis, il y avait eu quelques signaux. Un matin, en 2012, j’étais dans le train pour aller travailler à Paris, avec trois femmes qui faisaient le même trajet tous les jours et étaient devenues des copines. L’une d’elles me dit : « C’est l’anniversaire de ma fille, elle a 20 ans, avec ses amies on a décidé de lui organiser une surprise. On avait prévu un go-go dancer qui doit jaillir d’un grand paquet-cadeau et lui faire un strip-tease, mais on est à une semaine de la date et le go-go dancer nous a plantées, il a la trouille. J’ai pensé à toi : tu pourrais le remplacer ? » A l’époque je n’étais pas du tout là-dedans. Elle connaissait mon ouverture d’esprit sur le sujet, mais je n’avais jamais abordé la question de mon intimité sexuelle avec elle. Je me suis dit que je devais dégager quelque chose. Je lui ai demandé : pourquoi moi ? « Mais c’est évident, tu pues le cul ! » Je ne sais pas si c’était un compliment, mais j’ai été défrayé pour être le seul homme dans une soirée de filles et faire le majordome en tenue sexy. Le Monde Guides d’achat Lunch box Les meilleures lunch box pour la pause déjeuner Lire Dans le cadre de ma vie associative, j’ai aussi fait du cabaret, je mettais en scène mon corps nu. Je me suis rendu compte que j’étais de plus en plus à l’aise avec ça, avec le regard d’autrui. Ça a été un chemin : au début, j’avais peur d’être vu par des garçons. J’ai progressé. Je me suis retrouvé à faire un effeuillage en nu intégral devant plus de quatre cents personnes, devant un public mixte. Je sais que, souvent, ce sont les hommes qui sont homophobes et que leur imposer la vision d’un homme nu peut déclencher chez eux des insultes ou de la colère. Au lieu de ça, deux spectateurs sont venus à la fin me faire des compliments. Ces deux expériences m’ont permis d’assumer devant un public ce que je faisais dans mon intimité. En revanche, échapper au syndrome de l’imposteur n’a pas été facile. Comment me dire « Je mérite qu’on me paye pour ça » ? Et puis j’ai compris que mes pratiques sont variées, que ça me permet d’englober beaucoup de demandes. Je ne vends pas mon corps, je vends une prestation. J’ai commencé par l’escorting, il y a une dizaine d’années. J’ai postulé pour une boîte qui proposait des hommes sur catalogue, cachés derrière des noms de célébrités. J’avais parfaitement répondu à leur questionnaire de douze pages – « La cliente fait un arrêt cardiaque, que faites-vous ? » « Et si elle a trop bu et ne sait plus où elle habite ? » J’ai d’abord été refusé : à 37 ans, j’étais trop vieux ! Au bout de deux ans, ils m’ont rappelé : leur panel était finalement trop jeune… Pour rester dans la légalité, officiellement, ils facturaient une prestation (accompagnement au restaurant, au théâtre), hors de prix. Le reste, avec la cliente, était « à discrétion ». L’interaction charnelle n’était pas dans le contrat, mais, après le dîner ou la pièce, je ne rentrais pas chez moi, j’allais à l’hôtel avec la dame. Dans le catalogue, j’étais « Richard Gere ». Ça ne m’a pas plu du tout : ça amène des clientes de passage dont on ne sait rien, avec une attitude consumériste, on est objetisé avant même d’être là. J’ai fait ça jusqu’en 2017, et puis je me suis mis à mon compte. « Mon statut : du côté de l’assistante sociale » J’ai essayé d’ouvrir un compte en banque comme autoentrepreneur, on m’a dit non. Le travail du sexe, ce n’est pas encore entré dans les mœurs. Pourtant, la prostitution, ce n’est pas monolithique, ce ne sont pas que des jeunes filles des pays de l’Est privées de leurs papiers et enlevées par des réseaux. Cela existe mais ce n’est pas que ça. Il y a des femmes de 60 ans qui font ça depuis vingt ans et sont totalement autonomes. Depuis 2016 et la loi dite de « pénalisation du client », c’est ce dernier qui est passible d’une amende. Mais la loi étant faite par et pour les hommes, aucune de mes clientes n’a jamais été inquiétée. Je ne suis pas visible, on me laisse tranquille. Alors, je me fais payer en liquide. Je ne cotise pas pour ma retraite ni pour le chômage, mais je ne cumule pas non plus avec les prestations sociales, RSA ou autres : je ne suis pas un resquilleur, je suis autonome. Je gagne grosso modo un smic par mois, ça reste précaire. C’est beaucoup moins qu’un jeune escort qui peut se vendre en fonction de son apparence et de son aisance relationnelle. Je suis plutôt à ranger du côté de l’assistante sociale ! Sacha, à Paris, le 24 avril 2024. ALIOCHA BOI POUR « LE MONDE » C’est le seul métier où les hommes gagnent moins que les femmes. Il n’y a pas de « marché » féminin. Les hommes, eux, fonctionnent beaucoup par pulsion, dans l’instantané : ils vont flasher sur un sein, un cul, et demander à 19 h 15 un rendez-vous pour 20 heures. Ils sont donc prêts à payer pour ça. Mes clientes, elles, prennent rendez-vous un mois à l’avance, elles ont déjà posé leur RTT et prévu à quelle heure ça se finirait. « Avec mes clientes, des liens intimes se créent, mais pas d’amour » Mes clientes ont généralement plus de 45 ans. Elles travaillent dans la banque, l’assurance, et même la politique ! C’est une question de pouvoir d’achat, mais aussi d’ouverture culturelle, d’intérêt pour l’épanouissement sexuel. Il y a plus de chance qu’une femme CSP + ait lu [la chroniqueuse et autrice] Maïa Mazaurette et King Kong Théorie [de Virginie Despentes] qu’une autre issue d’un milieu plus modeste. La dernière cliente m’avait vu dans un talk-show vidéo. Un prof de yoga tantra a recommandé à la précédente de faire appel à moi. Celles d’avant sont venues après m’avoir entendu à la radio et par l’intermédiaire d’un ami commun… Certaines ont dit à leur sexothérapeute : « J’en ai marre des exercices, j’ai envie de réel ! » J’hésite toujours entre « clientèle » et « patientèle ». Les plus fidèles, je les vois une fois par semaine, certaines tous les trois mois. J’ai cinq ou six habituées en ce moment, c’est comme ça que je vis. Mon plus long accompagnement, ce doit être deux ans et demi, trois ans. Je ne sais pas du tout combien de personnes j’ai accompagnées, au total. Il n’y a pas 1 000 ou 2 000 femmes qui cherchent quotidiennement à me contacter ! Je n’ai pas de site Internet – il faudrait qu’il soit hébergé à l’étranger –, juste une page Facebook. J’ai du mal à assumer une vitrine commerciale et, de toute façon, le réseau social sur lequel je touche ma classe d’âge, c’est Facebook. Je pratique un tarif dégressif en fonction du nombre d’heures. Je ne suis pas pour le culte de la performance, mais on est quand même en train de parler d’érection, et je ne peux pas jouir treize fois dans la nuit juste pour faire plaisir. Quand on passe la nuit ensemble, je fais un package, je ne tarife pas à l’heure. Quand tout se passe bien, je peux partir en week-end avec une cliente, et j’applique un forfait. J’ai d’un à quatre rendez-vous par semaine. Mes horaires, c’est beaucoup de soirées. Mais grâce aux trente-cinq heures, certaines préfèrent l’après-midi ou le matin. Les institutrices ont souvent leur mercredi ! A force de se voir toutes les semaines ou tous les mois dans un lit, des liens intimes se créent, souvent une relation amicale. Mais pas d’amour. « Avant un rendez-vous : des heures de conversation » Le premier contact se fait en message privé sur Facebook. Il y a une sorte de routine d’accueil mais, ensuite, très vite, c’est personnalisé. En fonction du tempérament de la cliente, de ses réactions… Environ un tiers de mes clientes ne savent pas dire ce dont elles ont envie. « Vous voulez me payer, mais pour quoi ? » La pression sociale emprisonne encore beaucoup les femmes dans une approche de la sexualité où elles ne doivent être que désirables, donc passives. Vouloir être désirée, c’est être « normale ». Il y a donc des heures de conversation, d’écoute, de confidences. Quand une personne me contacte, je n’ai pas de réponse toute faite concernant ce qui se passera lors du premier rendez-vous. On établit le « menu » ensemble. Je cherche à ce qu’elle me confie ce qui la gêne dans sa sexualité : longue abstinence, ménopause qui a modifié son rapport au corps, vaginisme… Certaines n’ont plus envie de sexe, et se disent que ce n’est pas normal. D’autres ont encore une libido mais ne savent plus vers quoi l’orienter. Avec une femme qui n’a pas fait l’amour depuis des années, je vais aller chercher ses petits ou grands fantasmes. Je suis bien plus affûté dans le sexto que dans le rapport sexuel ! Je vais les y immerger, le scénariser. Ça, c’est mon côté de la relation, c’est en ça que je prétends avoir un effet thérapeutique. La cliente, elle, elle voit des conversations coquines, des messages pour s’ambiancer. Pour moi, c’est une manière de tâtonner : « là : oui », « là : non, mais… », « là : stop ». Une carte mentale de ses espaces de jeu. Il s’agit de chercher des zones de plaisir qui matchent avec son corps et sa fantasmagorie. Mais, pour ça, il faut que la personne trouve le courage de formuler ses difficultés, puis ses envies, mêmes taboues. Pour l’une, le point d’appui, ce sera de faire appel à son côté dominatrice, on va instaurer le fait que je la vouvoie, qu’elle me tutoie, que je l’appelle madame… tout un décorum qui s’infiltre dans le ton des échanges au quotidien. Avec une autre, on va explorer son potentiel de soumise. Pour une autre encore, on ira vers le tantra ou le « slow sex ». Ça permet de donner envie en amont. Finalement, c’est prendre conscience que les préliminaires, ça peut avoir commencé la semaine dernière ! Il peut y avoir un échange de photos, mais je ne vais jamais le demander. Certaines femmes ne sont pas du tout à l’aise avec leur corps, ont des complexes… Je peux passer des semaines de conversation sans savoir à quoi elles ressemblent : ce n’est pas grave, c’est le boulot ! Je dirais que de 10 % à 20 % des personnes qui me contactent ne sautent pas le pas – beaucoup moins que pour mes collègues femmes. Mais ça reste chronophage : pendant ce temps, je ne touche pas d’argent. C’est toujours facile de fantasmer dans son lit un soir de m urbation, moins à deux heures d’un rendez-vous avec un inconnu. Parfois une cliente me « ghoste », et, au bout d’un an et demi, elle me recontacte : « Cette fois, je suis prête. » « Mon objectif : qu’elles puissent me confier leurs fantasmes les plus inavouables » Le premier rendez-vous, c’est une heure, parfois deux. C’est la première fois qu’on se voit en vrai. Très souvent, on se retrouve dans un bar avant, parfois sans rendez-vous intime, pour prendre un café et papoter. Même quand on n’a pas une sexualité difficile, il y a toujours la peur de l’agression. Il peut aussi y avoir de la honte : « Ma pauvre fille, tu es tombée si bas que tu es obligée de payer un mec pour ça… » Ce qui inquiète une femme qui contacte un mec, c’est son urgence à vouloir du cul, ou de tomber sur un dragueur invétéré. Là, elles voient que je ne suis pas en train de chasser. Elles découvrent comment je m’habille, je parle, je bouge mes mains, ma silhouette. C’est important pour savoir si on a envie de quelqu’un : l’odeur qu’il dégage, comment il marche… Après un premier rendez-vous de ce type, je n’ai jamais eu de refus. Je suis physiquement « moyen plus », mais je maîtrise les préliminaires mentaux, les pratiques rares ou inaccessibles, et mon savoir-être. Et tout ça contribue à rendre les choses possibles. Pour le rendez-vous à l’hôtel, on établit ce qui va se passer. Pour cela, j’utilise tous les préparatifs du BDSM, même si ça n’en est pas : vérifier le consentement dix millions de fois, être plutôt trop sûr que pas assez, les safewords – ces mots qui dès qu’ils sont prononcés permettent de mettre fin aux rapports –, l’usage d’un code couleur – vert/jaune/rouge – pour dire « plus fort » ou « moins fort »… Si la demande n’est pas très claire, on démarre avec du sensoriel. Retrouver un contact sur la peau, oser la nudité à côté d’un autre corps… Ensuite, l’érotique, puis le pornographique, voire le trash. Toutes n’ont pas envie de visiter tous les étages de cette fusée. Souvent, avoir un partenaire à peu près élégant, acceptable physiquement et pas macho, suffit pour relancer la machine à fantasmes. Si certaines femmes me demandent mon macho intérieur, je recours au « dom » [le dominant] du BDSM. Mais je suis d’abord à l’écoute. C’est un rôle. Mon objectif à long terme, c’est qu’elles puissent tout me confier, leurs fantasmes les plus inavouables – certaines mettront deux mois à y parvenir, d’autres un an et demi. La valise avec laquelle Sacha se rend à ses rendez-vous, contenant accessoires BDSM, sex-toys et préservatifs. A Paris, le 24 avril 2024. ALIOCHA BOI POUR « LE MONDE » Une de mes toutes premières clientes, ça lui a pris des mois, mais elle a fini par me dire que son fantasme c’était de pisser sur un mec. Quand on vient d’une sexualité « normale », conjugale, cette idée, il faut la sortir de loin. Ça peut aussi être une transgression concernant ma tenue – que je m’habille en femme –, mon rôle – que je me mette à quatre pattes et que je joue le soumis –, des limites à repousser… Ça ne donne pas toujours une réponse définitive à leurs problématiques, mais ce sont des pistes. Parfois, je reste impuissant : j’ai une cliente suivie en psychiatrie et sexothérapie depuis vingt ans, c’est lourd. Je ne changerai pas ça à moi tout seul, mais j’ai amélioré son confort, trouvé des palliatifs. Je vois le plaisir sexuel comme une des expressions de la pulsion de vie : éclate-toi au pieu, et tu vas voir que le lendemain matin, tu auras le cœur plus léger en allant au taf ! « Le stigmate social, le jugement sont encore bien présents » Je suis un papa divorcé. J’étais en couple depuis sept ans, et puis on a rompu à l’automne dernier. Je suis convaincu que ce métier n’est pas incompatible avec la vie de couple. Mais il nous reint à un exercice de sincérité totale. En tant que TDS, on part avec des sextoys et des capotes tous les matins, on ramène du liquide, on garde un préservatif pour les rapports de couple… C’est impossible de le faire en secret. Il faut prendre soin de la santé de l’autre. Et qu’elle ait les idées larges. J’aime bien le mot libertin, mais aujourd’hui il ne veut plus rien dire : il désigne ceux qui savent où trouver le Cap d’Agde et un club avec des femmes nues ! Je préfère le rattacher à Beaumarchais et au siècle des Lumières, « libre de pensées et de mœurs ». Mes enfants ne sont pas encore majeurs, ils ont 17 et 13 ans. Ils savent que je travaille sur le sujet de la sexualité des adultes, mais c’est tout. Je soupçonne ma grande d’être assez maligne pour avoir trouvé la suite sur Internet. Mon idée, c’est ne pas mentir, mais ne pas tout dire. Ma fille ne veut pas du tout de mes conseils autour de la sexualité : elle en parle à sa mère, à son petit copain, mais je suis persona non grata dans cet espace. C’est aussi pour ça que je travaille sous pseudo : le stigmate social, le tabou, le jugement sont encore bien présents, même si la loi a changé. Le slut shaming [rabaisser une femme pour ses comportements sexuels] a cours dans tous les lycées. Il fallait à tout prix que je protège mes enfants de mon engagement. Car c’est ça, aussi, ce que je fais : un engagement social et militant. Pour mes clientes, c’est clairement un enjeu que ça ne se sache pas. C’est encore plus secret que si elles avaient un compte en Suisse ! Et ce n’est pas juste le travail du sexe, c’est tout ce qui est lié au cul : on est dans une société qui n’arrête pas d’en parler, mais qui le nie. C’est à s’arracher les cheveux… Tant qu’on n’en parle pas, on ne risque pas de se soigner si ça ne va pas bien, ni d’améliorer les relations entre hommes et femmes. Les hommes de mon âge se plaignent : « On ne peut plus rien dire. » Mais les femmes qui viennent me voir ne veulent plus d’un gars de leur âge pas déconstruit, à l’ancienne. « Mes refus et mes limites » Quand je refuse des demandes, c’est pour des raisons éthiques. Une cliente voulait que je reconstitue très précisément, jusqu’aux tenues et aux personnages, la scène d’un viol qu’elle a subi enfant. C’était « non ». Ce qui me laisse toujours perplexe, c’est quand la personne projette de l’amour sur moi. Que naisse une affection, OK. Mais si elle devient impérieuse ou se transforme en jalousie, ça pose problème. C’est très délicat. On peut le comprendre : quand une personne retrouve la jouissance après une abstinence durable, son esprit confond facilement désir et amour. D’un seul coup, on projette beaucoup sur le TDS. Des clientes m’ont déjà fait des scènes de ménage du genre : « Je t’ai écrit mardi, tu ne m’as répondu que vendredi ! » « Mon plaisir » Pour que mon érection soit possible, il faut que j’aie du désir. Si je ne suis pas sincèrement excité, je ne peux pas bander. L’érection est le baromètre de mon désir, même en dehors d’une pénétration. Je dois donc arriver à susciter mon érection même si la personne ne se juge pas belle ou qu’elle se sent « abîmée ». Cela peut impliquer que j’utilise des médicaments, comme « béquilles » chimiques. Une femme qui vient vers moi en se sentant profondément laide, je ne peux pas prendre le risque que mon corps lui dise : même si tu me payes, tu restes moche. Je ne veux pas qu’elle soit humiliée. Le temps de me familiariser avec son corps, lors des premiers rendez-vous, je recours alors à des molécules – pas forcément le Viagra, il y a plus doux. Personnellement, j’ai beaucoup plus de mal la première fois, car le corps de ma cliente m’est inconnu – son odeur, son toucher, sa chaleur, ses imperfections, sa souplesse, ses rondeurs, ses creux. Comme dans un couple, c’est rarement la première fois qui est la meilleure, plutôt quand on a construit une intimité. Par ailleurs, ça peut sembler prétentieux, mais ça peut aussi former mes clientes à ce qu’elles peuvent attendre du comportement d’un homme : elles ont sous les yeux un exercice de style de sexualité non toxique. Une preuve que ça peut exister, qu’on ne délire pas si on attend ça d’un homme. Elles seront sans doute ensuite plus exigeantes, elles auront eu l’expérience d’un pénis bienveillant, pas phallocrate ni égoïste. La déconstruction, pour un mec, ce n’est pas chasser l’érection, c’est qu’elle ne soit plus synonyme de : je te prends, point final. On a une bite qui bande, ce n’est pas pour autant une injonction à la pénétration. La plupart des femmes ont envie d’une érection chez leur partenaire, mais aussi qu’elle ait lieu au moment où elles le veulent. Ce n’est pas la bite, le problème, c’est comment les hommes la présentent. Quand Macron parle de « réarmement démographique »… une bite, ce n’est pas une kalach ! La mienne, c’est plutôt un doudou. On peut s’y frotter, ou pas. Je peux bander sans que ça veuille dire : allez, on passe à la suite ! Le plus beau compliment qu’on m’ait fait ? Une cliente qui avait des soucis de sécheresse vaginale et de pénétration, qu’on a réussi à « débloquer » au bout d’un an et demi alors que la médecine n’y était pas parvenue. Elle m’a dit : « Tu m’as rendu ma chatte. » Ce n’est pas très romantique, mais le romantisme, ce n’est pas mon boulot ! « Et après ? » Je ne me suis pas mis de limite, mais, dans la glace, je me vois vieillir. Je commence à me demander combien de temps ça va durer, au niveau apparence et érection. Au moins trente personnes m’ont dit : « Il faut que tu écrives un bouquin avec tout ça. » Je vois aussi des hommes plus jeunes que moi me contacter, se lancer. Je n’aime pas le terme de coaching, je vois tellement d’arnaques, de propos sectaires ou manipulateurs. Quant à mes clientes, pour certaines, ça a ouvert la case exploration : elles ne vont pas se remettre en couple, mais contacter des communautés sexuelles pour continuer à se développer dans ce domaine. D’autres se disent : finalement, ce n’est pas pour moi, je me faisais des idées, je ne suis pas très sexuelle. Parfois, une ancienne cliente me donne de ses nouvelles, ou bien je la reconnais sur les photos d’une soirée BDSM, et je me dis : « Bien ! Au moins, on n’a pas fait ça pour rien. » Audrey Tonnelier NOS LECTEURS ONT LU ENSUITE Au PS, Emma Rafowicz, combative malgré les attaques antisémites Aujourd’hui à 05h00 « Je sais que je suis mort, qu’ils vont me mettre des contrats partout sur la tête » : le repenti et le baron du trafic de drogue Aujourd’hui à 06h00 En direct, guerre en Ukraine : la Russie dit avoir abattu quatre missiles de longue portée américains, lancés par l’Ukraine, au-dessus de la Crimée Aujourd’hui à 11h18 La chienne, meilleure amie des femmes : le retournement d’un stigmate Aujourd’hui à 09h00 En Suède, le modèle social à bout de souffle Aujourd’hui à 03h00 Depuis le Brexit, le lent effritement du commerce britannique Hier à 13h57 CONTRIBUTIONS Bienvenue dans l’espace des contributions Pour améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation. 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