~~NOTOC~~ @DATE@ ---- https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/14/les-finances-publiques-symptome-d-un-declassement-reel-ou-suppose-de-la-france-sur-la-scene-europeenne_6233032_823448.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default ====== Les finances publiques, symptôme d’un déclassement réel ou supposé de la France sur la scène européenne Si l’Hexagone fait figure de mauvais élève de l’Europe, avec un déficit public de 5,5 % du produit intérieur brut, il possède suffisamment d’atouts pour éloigner le spectre d’une crise grecque, brandie comme une menace par la droite. ====== Vous pouvez partager un article en cliquant sur l’icône de partage en bas à droite de celui-ci. La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite. Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente. Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr. En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ». lemonde POLITIQUE Les finances publiques, symptôme d’un déclassement réel ou supposé de la France sur la scène européenne Si l’Hexagone fait figure de mauvais élève de l’Europe, avec un déficit public de 5,5 % du produit intérieur brut, il possède suffisamment d’atouts pour éloigner le spectre d’une crise grecque, brandie comme une menace par la droite. Par Elsa Conesa Par Elsa Conesa Par Elsa Conesa Hier à 04h15, modifié à 12h01 Lecture 7 min Article réservé aux abonnés Offrir Emmanuel Macron au siège français de Microsoft à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 13 mai 2024. THIBAULT CAMUS / AP Depuis quelques semaines, c’est l’angle d’attaque de la droite contre le gouvernement et sa gestion des finances publiques. La dégradation des comptes, accélératrice du déclassement réel ou supposé de la France sur la scène européenne, aurait fait basculer l’Hexagone dans le bloc peu enviable des pays d’Europe du Sud. Tandis que la gauche incite l’exécutif à s’inspirer du modèle américain en dépensant davantage, la droite brandit la menace ultime, quoique récurrente depuis la crise de la zone euro : à force de garder les vannes ouvertes, la France serait en train de prendre le chemin de la Grèce. C’est la prophétie du président du parti Les Républicains, Eric Ciotti, dans Les Echos du 20 mars. Ironie du sort, ce déclin français se produirait au moment même où la situation d’Athènes s’améliore aux yeux des investisseurs, puisque l’agence de notation Standard & Poor’s, qui doit rendre son verdict sur la dette française fin mai, a relevé la note attribuée à la dette grecque en octobre 2023 et s’apprête à recommencer. LA SUITE APRÈS CETTE PUBLICITÉ « Nous serons bientôt les derniers en Europe : le Portugal a redressé ses finances, la Grèce suit le même chemin, et, nous, nous laissons nos dépenses publiques inlassablement se dégrader, renchérissait le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, le 14 avril dans Le Journal du dimanche. Ce qui fragilise notre économie et notre souveraineté. » Quinze ans après la grande crise de 2008, la France est-elle réellement en train de devenir la mauvaise élève de la zone euro ? A tort ou à raison, elle adore en tout cas se poser la question. Les grands indicateurs des finances publiques tendent de fait à montrer que la situation de la France s’est détériorée par rapport à ses voisins européens sur le plan strictement budgétaire. « Le problème des finances publiques en France est pour nous le principal sujet de préoccupation, confirme Bertrand Pluyaud, chef du bureau France à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les chiffres montrent que la situation s’est dégradée ces dernières années. La France est en effet le pays de [l’union monétaire] dont la dette, rapportée au PIB [produit intérieur brut], a le plus augmenté depuis 2013 – de 16 points, contre une baisse de 4,7 points en moyenne pour la zone euro. » Dans le même temps, les pays d’Europe du Sud, percutés par la crise des subprimes à partir de 2008 puis par celle des dettes souveraines, ont opéré une cure d’assainissement forcée. Comme le Portugal, dont la dette a reculé de 32 points en dix ans, ou la Grèce, où la sienne a baissé de 16 points, bien qu’elle demeure à des niveaux élevés (99 % du PIB pour le Portugal, 161,9 % du PIB pour la Grèce). Lire aussi Finances publiques : le gouvernement met en avant son bilan face au procès en « incompétence » Cure d’austérité Autre indice préoccupant : avec un déficit public de 5,5 % du PIB, la France fait effectivement figure de mauvaise élève sur la scène européenne, puisque le déficit moyen dans la zone euro en 2023 se situe à 3,6 % du PIB. Treize pays affichent déjà un déficit inférieur aux 3 % du PIB requis par les règles européennes, tandis que quatre sont en excédent ou proche de l’équilibre. Seule l’Italie affiche un déficit plus élevé que le nôtre, mais largement dû au poids élevé de la charge de sa dette. « Force est de constater que la France, dont la dette et le déficit étaient similaires à ceux de l’Allemagne au moment de la création de l’euro, a divergé », résume Zsolt Darvas, économiste et chercheur à l’institut Bruegel. Si la comparaison avec certains pays du sud de l’Europe, notamment avec la Grèce, le Portugal ou l’Espagne, est tentante, c’est que ces derniers ont été soumis à une cure d’austérité drastique au début des années 2010, imposée à la fois par des marchés financiers qui ne voulaient plus les financer, et par la « troïka » – la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le Fonds monétaire international – en échange d’une importante aide financière. Pour retrouver une capacité à emprunter à un coût raisonnable, ces pays ont dû réduire les salaires de leurs fonctionnaires et les pensions des retraités, renoncer à des investissements publics, augmenter les impôts et tailler dans les dépenses publiques, y compris dans les prestations sociales et le budget de l’éducation. Des exemples pouvant difficilement être érigés en modèle de volontarisme politique, tant ce régime de rigueur leur a été imposé par une tutelle extérieure. « Ces pays n’ont eu en réalité que très peu de marge de manœuvre, car les mesures conditionnaient les programmes d’assistance financière », observe Zsolt Darvas. Le sentiment aujourd’hui est que ceux-ci ont été trop rapides et inutilement douloureux, malgré des résultats parfois spectaculaires. Lire aussi Les agences de notation maintiennent les notes de la France inchangées, offrant un nouveau répit au gouvernement « La baisse de l’investissement public a par exemple des conséquences de long terme sur l’entretien des infrastructures, ce qui pèse sur l’activité, indique le chercheur. Mais dix ans après, le Portugal, l’Espagne ou la Grèce affichent une croissance élevée. » Laquelle dope leurs recettes fiscales et contribue à assainir leurs comptes. Newsletter « Politique » Chaque semaine, « Le Monde » analyse pour vous les enjeux de l’actualité politique S’inscrire Ces Etats, qui sont parvenus à réduire considérablement leurs coûts de financement sur les marchés et ont pour certains mené des politiques de compétitivité et d’attractivité au cours des dix dernières années, sont aujourd’hui considérés par les agences de notation comme des emprunteurs de bonne qualité. « Comparaison pas absurde » Dans le même temps, la France s’est elle aussi réformée, mais a creusé l’écart budgétaire. « Elle n’était pas dans une situation aussi difficile et n’a pas connu d’austérité comparable aux pays du Sud, constate Antoine Levy, économiste et enseignant à l’université de Californie, à Berkeley. La France a continué à dépenser sous François Hollande et lors du premier mandat d’Emmanuel Macron, avec les baisses d’impôt. La situation du pays s’est donc plutôt dégradée par rapport à ces pays d’Europe du Sud. » L’épisode du Covid-19 et celui de la crise de l’énergie ont accru encore le différentiel. « Tous les pays européens ont dépensé pour préserver les emplois et les revenus, et pour relancer leurs économies, rappelle Etienne Wasmer, professeur d’économie à la New York University d’Abou Dhabi et professeur associé à Sciences Po. La différence est la vitesse à laquelle ils ont cessé de le faire. » La France a en effet continué à prendre en charge la flambée des prix de l’énergie jusqu’en 2023, plus tard que ses voisins. Depuis 2020, elle a ainsi réduit son déficit de 3,4 points de PIB, dans la moyenne de la zone euro, quand cette consolidation était beaucoup plus rapide dans les pays du Sud : 8,2 points pour la Grèce, 6,5 points pour l’Espagne et 7 points pour le Portugal. La France est-elle pour autant sur le chemin de la Grèce en 2010 ? Ou – autre spectre qui vient parfois hanter le débat politique français – sur celui du Royaume-Uni de Liz Truss, première ministre débarquée en quelques semaines par des marchés pris de panique fin 2022 ? « La comparaison avec la Grèce est à la fois exagérée et pas complètement absurde », commente Antoine Levy. La France a une capacité à lever l’impôt incomparable par rapport à celle d’Athènes en 2010. Les investisseurs sont en outre trop dépendants de la dette française pour la mettre en danger – peu de pays émettent de la dette de très bonne qualité en dehors de l’Allemagne, qui emprunte très peu. La France profite à plein de cette rareté. Lire aussi Un record d’investissements étrangers annoncés au sommet Choose France Elle a aussi d’autres atouts. « La France est riche, ajoute Etienne Wasmer. Son patrimoine en actifs d’infrastructure, en immobilier, en terres bâties et non bâties, est considérable. Elle est très loin de la faillite. » Les terres françaises valent 9 000 milliards d’euros, soit trois fois le PIB du pays, avance-t-il. Avec le patrimoine bâti, le montant grimpe à 15 000 milliards ou 16 000 milliards d’euros. Les Français sont aussi de gros épargnants. « Les marchés ne voient pas le déficit public se réduire mais savent que, le jour venu, l’Etat aura toujours la possibilité de ponctionner l’épargne », résume Etienne Wasmer. Trop grosse pour faire faillite Surtout, la France jouit en outre d’une situation politiquement et géographiquement centrale en Europe, ce qui fait d’elle un pays « systémique », comme peuvent l’être certaines institutions financières internationales. « La Grèce était à la périphérie, elle pouvait sortir de l’Europe sans la mettre en danger dans son ensemble », poursuit Antoine Levy. La France, en revanche, est « too big to fail » – « trop grosse pour faire faillite ». C’est une sorte de non-dit, un avantage exorbitant dont le pays et ses dirigeants ne se vantent pas, mais dont ils profitent en silence, avec l’accord tacite des investisseurs. Un statut particulier qui a jusqu’ici toujours protégé le pays. Personne n’a envie de tester les limites du projet européen. La France n’est pas dans la situation des pays du Sud, « parce qu’elle n’est pas dans un état de fragilité, et parce que la situation de ces derniers n’est pas mauvaise en réalité », estime Pierre Jaillet, économiste et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors. Le sort de l’Allemagne, en récession, interroge tout autant, juge-t-il. « Est-ce qu’elle ne sera pas la grande victime de la nouvelle crise, du fait de ses difficultés d’accès à l’énergie et de sa grande spécialisation industrielle [spécialisation qui fait d’elle une grande consommatrice d’énergie et qui l’expose davantage à la concurrence chinoise] ? », interroge l’expert. Lire aussi Les pistes du gouvernement pour réaliser 20 milliards d’euros d’économies en 2025 Reste que la situation budgétaire française risque de poser tôt ou tard un problème de cohésion globale du Vieux Continent. L’incapacité de la France à réduire ses dépenses en période de croissance est d’autant plus problématique qu’une partie importante est constituée d’engagements contraints – retraites, transferts sociaux… « Il existe une vraie frustration ailleurs en Europe, liée au fait que les règles budgétaires ne s’appliquent pas partout de la même façon, relève Antoine Levy. Chez les frugaux d’Europe du Nord, bien sûr, et dans les pays du Sud qui ont été soumis à une austérité très dure. » Mais cette frustration se diffuse aussi, et de plus en plus, en Europe de l’Est, où se déplace le centre géopolitique de l’Europe, avec la Pologne et les pays baltes qui affichent une croissance élevée. « Ce déplacement est totalement invisibilisé en Europe de l’Ouest, poursuit-il. Or il pourrait changer les équilibres politiques. » Elsa Conesa NOS LECTEURS ONT LU ENSUITE Les nouvelles prévisions de Bruxelles confirment le décrochage de l’Union européenne Aujourd’hui à 11h24 Trois cents contaminants dans nos nappes : polluant par polluant, notre analyse des eaux souterraines en France Aujourd’hui à 06h00 « The Palace », de Roman Polanski, une satire mondaine qui fait pschitt ! Aujourd’hui à 12h00 En direct, guerre en Ukraine : les forces russes revendiquent la prise de deux villages dans la région de Kharkhiv, et de Robotyne, dans la région de Zaporijia Aujourd’hui à 11h49 Sous la pression de Donald Trump, Joe Biden se convertit au protectionnisme antichinois Aujourd’hui à 11h13 La leçon de Lionel Jospin au pouvoir macroniste Hier à 22h31 CONTRIBUTIONS Bienvenue dans l’espace des contributions Pour améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation. 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