~~NOTOC~~ @DATE@ ====== Le Monde – Nouvelle-Calédonie : la proposition de référendum national, provocation ou faux pas d’Emmanuel Macron ? ====== ---- {{https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/27/nouvelle-caledonie-la-proposition-de-referendum-national-provocation-ou-faux-pas-d-emmanuel-macron_6235745_823448.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default|Le Monde – Nouvelle-Calédonie : la proposition de référendum national, provocation ou faux pas d’Emmanuel Macron ?}} POLITIQUE Nouvelle-Calédonie : la proposition de référendum national, provocation ou faux pas d’Emmanuel Macron ? ANALYSE Nathalie Segaunes Dans un entretien au « Parisien », le chef de l’Etat a annoncé qu’il pourrait soumettre la question du dégel du corps électoral dans l’archipel à un vote des Français, déclenchant la stupeur et les interrogations des responsables politiques locaux. Article réservé aux abonnés Emmanuel Macron, le président de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou (deuxième à gauche), et le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, à l’issue d’une réunion avec les élus et les représentants locaux de la Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 23 mai 2024. Emmanuel Macron, le président de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou (deuxième à gauche), et le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, à l’issue d’une réunion avec les élus et les représentants locaux de la Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 23 mai 2024. LUDOVIC MARIN / AP Lorsque le président de la République a glissé, jeudi 23 mai, lors de sa visite éclair en Nouvelle-Calédonie, au cours d’un échange à huis clos avec des personnalités néo-calédoniennes, qu’il pourrait « aller au référendum » sur le dégel du corps électoral, « puisqu’il y a un vote conforme des deux assemblées », des élus incrédules n’ont pu s’empêcher de s’esclaffer dans la résidence du haut-commissaire de la République. Ils ont cru à l’une de ces provocations dont ce chef de l’Etat à l’imagination fertile est coutumier. Alors quand ils ont lu cette même proposition sur le site du Parisien samedi 25 mai, les mêmes sont tombés de leur chaise. Pour sortir de la crise, Emmanuel Macron menaçait bel et bien de mettre l’avenir des Calédoniens entre les mains des Français. Philippe Gomès, président de Calédonie ensemble (fraction modérée des anti-indépendantistes), confesse dans un communiqué ce dimanche un « moment de stupeur » à la lecture de l’article du Parisien. « Coincé par un pays en situation insurrectionnelle que nous lui avions annoncée de longue date, coincé par un Parlement qui, de LFI [La France insoumise] au RN [Rassemblement national] en passant par le président LR [Les Républicains] du Sénat et la présidente Renaissance de l’Assemblée nationale, a dit qu’il ne voterait pas cette réforme, le président envisagerait une ultime échappatoire… un référendum national. Cette perspective est un non-sens », assène l’ancien député de Nouvelle-Calédonie. Un non-sens historique, car on demanderait aux Français de trancher la question du corps électoral calédonien en dehors de tout consensus local, et à rebours de l’esprit des accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998) : le peuple calédonien déciderait s’il accède ou pas à l’indépendance, mais le peuple français déciderait du corps électoral calédonien. Un non-sens politique, car il y aurait de fortes chances pour que les Français, fort éloignés des enjeux mélanésiens, s’expriment pour ou contre Emmanuel Macron. Or, « en l’état actuel de la cote de popularité présidentielle, et du probable résultat cataclysmique de la liste présidentielle aux européennes, on peut s’attendre à un non massif à la question posée », pronostique Philippe Gomès. « Si j’étais un indépendantiste kanak, je dirais “chiche” au président, car seuls iraient voter ceux qui veulent sanctionner le président », sourit Jean-François Merle, conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer lors de la négociation des accords de Matignon, qui juge la proposition « ahurissante ». L’ancien premier ministre Manuel Valls dénonce quant à lui, dans un communiqué, « une faute politique et historique ! » « C’est une lecture de la Constitution » Sans doute Emmanuel Macron n’envisage-t-il pas sérieusement d’appeler les Français aux urnes pour décider qui pourra voter aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Sans doute agite-t-il cette menace pour faire pression une fois de plus sur les acteurs locaux et les contraindre à un « accord global qui viendrait enrichir le texte voté par le Parlement ». C’est ainsi que préfère l’entendre la cheffe de file de la droite anti-indépendantiste, Sonia Backès. « Evidemment, personne ne souhaite être pris en otage par des citoyens français qui ne connaissent pas le sujet calédonien, mais cette “menace” était aussi là pour prouver [la] détermination [du président] à faire respecter la démocratie », écrit l’ancienne secrétaire d’Etat chargée de la citoyenneté (2022-2023), présidente de la province Sud. Mais le chef de l’Etat, dont on aurait pu attendre qu’il cherche à apaiser un « pays » plongé dans le chaos depuis le 13 mai, a introduit dans le débat une proposition éminemment inflammable, car elle dépossède tout simplement les Calédoniens de la question du corps électoral, qui a de tout temps été la mère des batailles sur le Caillou. Une proposition difficilement lisible aussi, qui conforte les indépendantistes dans l’idée que le chef de l’Etat n’entend pas revenir sur le dégel du corps électoral, alors même qu’il n’a pas de majorité au Congrès pour le faire adopter. Une proposition qui, au passage, ne va guère faciliter la tâche des trois hauts fonctionnaires chargés de conduire la « mission de médiation et de travail », qui, de leur propre aveu, avance « au millimètre ». Une proposition, enfin, qui a toutes les chances de radicaliser les plus durs des indépendantistes. Dès son arrivée, dimanche, en Allemagne, où il effectue une visite d’Etat de trois jours, Emmanuel Macron est revenu sur ses propos incendiaires. « J’ai juste rappelé ce qu’était la Constitution », a-t-il minimisé lors d’une conférence de presse aux côtés du président allemand, Frank-Walter Steinmeier. La possibilité d’organiser un référendum national sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, « c’est une lecture de la Constitution, pas l’expression d’une intention », a rectifié le chef de l’Etat, redescendu sur terre. Dans la soirée, l’Elysée a également annoncé la fin de l’état d’urgence mardi 28 mai à 5 heures, heure de Nouméa, et le renfort de 480 gendarmes mobiles. Emmanuel Macron n’a pas renoncé en revanche à l’idée d’un débat avec Marine Le Pen avant les élections européennes du 9 juin, qu’il avait relancée samedi dans la même interview au Parisien. La présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale l’a une nouvelle fois déclinée. « Je ne viens pas quand on me siffle », a-t-elle répondu. Un pas de deux qui aura distrait les Français quelque temps du fiasco calédonien. Nathalie Segaunes