~~NOTOC~~
@DATE@
----
====== Le Monde – La Ville de Paris veut accélérer sur la mixité sociale en augmentant le « pastillage ======
Le Monde – La Ville de Paris veut accélérer sur la mixité sociale en augmentant le « pastillage »
Vous pouvez partager un article en cliquant sur l’icône de partage en bas à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr.
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».
lemonde
SOCIÉTÉ
La Ville de Paris veut accélérer sur la mixité sociale en augmentant le « pastillage »
La pratique consistant à réserver des emplacements au logement social en cas de gros travaux n’est pas nouvelle. Mais la Mairie a changé de braquet à l’occasion de la révision de son plan local d’urbanisme, suscitant la colère des investisseurs institutionnels, mais aussi celle du diocèse de Paris.
Par Véronique Chocron
Par Véronique Chocron
Par Véronique Chocron
Le 17 avril 2024 à 05h30, modifié le 17 avril 2024 à 12h52
Lecture 6 min
Article réservé aux abonnés
Offrir
COLCANOPA
Le diocèse de Paris a découvert l’affaire par hasard cet hiver. En déposant un permis de construire, l’architecte chargé du projet de restructuration d’une école catholique de la capitale s’est aperçu que des établissements privés avaient été « pastillés » par la municipalité. Comprendre par là que la Ville nourrit le projet de voir éclore, à terme, du logement social à ces emplacements.
Une grande concertation avait bien été lancée en 2022, carte des parcelles visées à la clé, mais l’Eglise est passée à côté. « Et la Ville n’a pas pris contact pour nous prévenir », déplore Jean-François Canteneur, le directeur diocésain de l’enseignement catholique de Paris. Après quelques recherches, il a découvert que huit écoles étaient finalement concernées, et parmi elles Saint-Jean-Gabriel, dans le 4e arrondissement, Sainte-Marie-Sion, dans le 6e arrondissement, ou les établissements Sainte-Clotilde et Saint-Michel-de-Picpus (12e).
En quoi ce « pastillage » consiste-t-il ? Il s’agit d’un outil à la disposition des communes, en vue de réaliser du logement, et tout particulièrement du logement social. La Mairie de Paris s’en est emparée pour tenter de retenir des classes populaires dans la capitale, chassées par la hausse forte et continue des prix de l’immobilier et des loyers, et alors que, depuis 2012, la population parisienne décroît régulièrement. Lorsque la Ville inscrit des immeubles sur sa liste des « emplacements réservés » (autre dénomination des pastilles), les propriétaires, en cas de gros travaux ou d’extension dans leur immeuble, doivent affecter une partie des surfaces à des logements sociaux. « Pour que les permis de construire soient délivrés, il faudra que le bout de programme en faveur du logement social, déterminé par la pastille, s’applique », explique Charles-Antoine Depardon, le conseiller urbanisme d’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris.
Les quartiers chics visés
Si la pratique n’est pas nouvelle – la capitale y a eu recours régulièrement depuis 2006 –, la Ville a changé de braquet, à l’occasion de la révision cette année de son plan local d’urbanisme (PLU), qui réglemente les constructions. La ville n’avait « pastillé » que 416 parcelles depuis 2006. Elle en a réservé cette fois 947, multipliant par près de deux et demi le nombre de pastilles. Elle en attend la production de 12 000 logements, essentiellement sociaux, d’ici à 2035.
Lire le reportage :
Vivre en HLM dans les quartiers chics de Paris : « Dès qu’on est là tout change, tout est à proximité, notamment la culture »
Aucune adresse n’a été taboue. Les Champs-Elysées, la rue de la Paix, la place de la Madeleine ou l’île Saint-Louis se sont vu apposer des pastilles. Aux nombreux détracteurs, Jacques Baudrier, adjoint à la maire chargé du logement, répond qu’il y a « du sens à faire du logement social partout à Paris, surtout dans des secteurs en hyperdéficit. Les Champs-Elysées sont un secteur où on observe le plus fort taux de vacance, plus personne n’y habite, ça devient même une question de sécurité ».
Le Monde Ateliers
Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir
La municipalité ne se cache d’ailleurs pas de viser en priorité les quartiers chics, dans l’ouest de la ville. Car si Paris est sur le point de remplir les objectifs de 25 % de logements sociaux fixés par la loi « solidarité et renouvellement urbains » (SRU) de 2000, le déséquilibre apparaît patent selon les arrondissements : la part des logements sociaux dans les résidences principales excède 40 % dans les 13e, 19e et 20e arrondissements, dans l’est de la capitale, mais dépasse à peine 2 % dans le 7e arrondissement et 4 % dans les 8e et 6e.
Géographe au CNRS, Julie Vallée estime que le pastillage permet, justement, d’opérer « à une échelle très fine », de cibler des bâtiments, et non pas des quartiers comme ceux de la politique de la ville. « C’est impossible d’agir sur un pâté de maisons, cela entraînerait trop de résistances, dit-elle. Disséminer le logement social me paraît assez stratégique, on évite de stigmatiser une zone, et cette mixité locale va pouvoir, en rebond, permettre d’autres mixités, celle de la carte scolaire, par exemple. »
Les parcelles parisiennes ont été scannées. N’ont été retenus que les bâtiments les mieux taillés pour accueillir des HLM : des immeubles suffisamment grands pour créer au moins 500 mètres carrés de logements sociaux, et de préférence des monopropriétés, dont la probabilité de réaliser des travaux de transformation – et donc d’activer la pastille – est plus forte.
« Véritable spoliation »
Priorité est ainsi donnée aux garages et parkings en surface. « Je pense que ces pastilles-là vont presque toutes muter, car la demande de parkings s’écroule, c’est une activité qui se casse la figure, donc ils vendent, soutient M. Baudrier. On compte plus d’une centaine de milliers de places libres en sous-sol et, chaque année, plus de 10 000 voitures de moins à Paris. Les parkings en surélévation n’ont donc aucun sens. »
Figurent également sur la liste de nombreux immeubles de logements à surélever, ainsi que, pour la première fois, plus de 400 immeubles de bureaux bordant les avenues les plus chères de la capitale. « Le pastillage avait d’abord été un outil pour aller s’attaquer à l’habitat indigne, mais nous en sommes arrivés au bout, explique M. Depardon. Le bureau est intéressant, car les chances de transformation et de gros travaux y sont beaucoup plus importants, dans un marché tertiaire plutôt florissant à Paris. »
Lire aussi :
Paris veut s’attaquer aux logements inoccupés pour stopper la baisse de la population
Ulcérés, les investisseurs institutionnels y voient, eux, une « véritable spoliation ». Groupama Immobilier, chargé de gérer les actifs immobiliers de l’assureur, détient une quarantaine d’immeubles dans Paris. Huit d’entre eux ont été pastillés, dont un immeuble de bureaux Art déco, rue de la Ville-l’Evêque et d’autres, haussmanniens, rue La Boétie, boulevard Haussmann ou boulevard Saint-Germain, dans les 8e et 6e arrondissements, dont la valeur totale se compte en centaines de millions d’euros.
Le groupe ne souhaite pas communiquer sur la perte de valorisation causée par ce pastillage, mais note que « des investisseurs internationaux, et notamment des fonds allemands, ont dit qu’ils n’achèteraient plus à Paris si des immeubles de bureaux étaient pastillés », fait savoir Astrid Weill, la directrice générale de Groupama Immobilier. « Je comprends la problématique de la Mairie, la baisse de la population, les écoles qui ferment, mais je ne sais pas faire : si on se met à créer du logement social dans nos immeubles, que je dois vendre des lots à un bailleur, mon immeuble devient une copropriété, et non seulement il perd de la valeur, mais en plus j’aurai plus de difficultés de gestion. Or, vis-à-vis des épargnants clients du groupe, dont l’argent est investi dans ces immeubles, j’ai besoin de zéro perte de valeur », ajoute-t-elle.
La Mairie reconnaît que son pastillage n’est pas sans effet, « mais on a entendu l’an dernier que certains craignaient une baisse de valeur de 80 % du prix d’un bien, c’est totalement faux », tranche M. Depardon, qui évalue plutôt la décote, à vue de nez, à − 5 %. « Le vendeur peut par ailleurs activer son “droit de délaissement”, car la propriété privée est protégée en France : en gros, la collectivité attaque ma propriété, eh bien je la mets en demeure de l’acheter, au prix du marché, sans décote. Et la jurisprudence montre que le juge d’expropriation va toujours dans le sens du vendeur, il n’est pas question de spolier les biens », poursuit-il. Si la Ville n’est pas prête à mettre le prix, la pastille tombe. Son intérêt n’est donc évidemment pas d’acheter, à des tarifs avoisinant les 20 000 euros le mètre carré de bureaux dans le 8e arrondissement, mais plutôt que la pastille soit activée dans le cadre d’un permis de construire.
« Marque d’hostilité »
L’expérience des dernières années montre que les propriétaires font rarement valoir leur droit de délaissement – quelques dizaines de pastilles sont tombées depuis 2006 –, tandis que 30 % des parcelles pastillées ont in fine été transformées pour produire du logement social. « La conséquence, c’est que nous n’avons aucun intérêt à déposer un permis de construire pour faire quoi que ce soit, même de la rénovation énergétique, prévient Astrid Weill. Quant au droit de délaissement, sa mise en œuvre prend plus de dix-huit mois et le risque est trop important : le juge ne tient pas compte de la spécificité d’un actif. » Et la patronne de Groupama Immobilier de citer la vente par la société Gecina du 101, avenue des Champs-Elysées à LVMH pour 770 millions d’euros. « LVMH a payé ce prix car il s’agit de son magasin flagship [vaisseau amiral] historique, mais vous pensez vraiment que le juge de l’expropriation aurait estimé cette valeur de marché ? », s’agace-t-elle.
Lire aussi :
Comment Paris espère atteindre 40 % de logement social ou abordable en 2035
Autre lieu, même exaspération. Au diocèse de Paris, Jean-François Canteneur dit « très bien comprendre le souci d’Emmanuel Grégoire de lutter contre la spéculation », mais dénonce des « choix aberrants qui constituent, à tout le moins, une marque d’hostilité » à l’égard de l’enseignement catholique. Une enquête publique, ouverte en début d’année, après le vote du PLU au Conseil de Paris, a recueilli plus de 14 000 contributions, dont celles des écoles concernées, des parents d’élèves, des anciens élèves et de M. Canteneur lui-même, qui y dénonce une « servitude remarquablement contraignante ».
Le nombre d’établissements ciblés « a soulevé un doute au sein de nos communautés éducatives sur le but de ce pastillage », ajoute-t-il, prévenant qu’il ne serait « pas acceptable » de « réduire la contribution de ces établissements au service public ». « Ce n’est pas à l’occasion d’un PLU que l’on décide de retirer des établissements scolaires, quels qu’ils soient, veut rassurer M. Depardon. C’est uniquement dans le cas où les écoles souhaiteraient déménager et valoriser leurs biens en leur affectant une nouvelle destination, typiquement du bureau, que la pastille s’activerait. Tant qu’ils continuent leur activité d’établissement scolaire, pas de sujet. »
Les investisseurs institutionnels possédant des immeubles à Paris se sont regroupés, ont mandaté ensemble un cabinet d’avocats et un conseil technique, sont partis en croisade auprès des maires d’arrondissement d’opposition et, comme le diocèse, ont très largement bombardé de courriers la commission d’enquête, dont les travaux pourraient s’achever avant l’été. Chacun se prépare déjà à attaquer la Ville en justice.
Véronique Chocron
NOS LECTEURS ONT LU ENSUITE
Transition écologique : le gouvernement lance un service pour aider les collectivités à s’adapter au changement climatique
Le 18 avril 2024 à 20h44
Un ouvrage pour en avoir dans le citron
Le 16 avril 2024 à 14h00
« Les baptêmes de Pâques annoncent-ils la fin de l’hiver pour l’Eglise catholique ? »
Le 17 avril 2024 à 08h00
Marché du livre : controverse sur la taxation des ouvrages d’occasion
Le 15 avril 2024 à 18h27
Assurance-chômage : le gouvernement fixera de nouvelles règles à partir du 1ᵉʳ juillet
Le 22 avril 2024 à 16h27
« Aide à mourir » : en commission spéciale, un avant-goût des futurs débats à l’Assemblée nationale
Le 23 avril 2024 à 10h34
CONTRIBUTIONS
Bienvenue dans l’espace des contributions
Pour améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.
Voir les contributions