~~NOTOC~~ @DATE@ ====== La “contre-attaque” de la République restera vaine tant que des groupes s’autodécréteront les vigiles d’une intégration morale et religieuse ====== ---- lemonde Vous pouvez partager un article en cliquant sur l’icône de partage en bas à droite de celui-ci. La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite. Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente. Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr. En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ». lemonde DÉBATS « La “contre-attaque” de la République restera vaine tant que des groupes s’autodécréteront les vigiles d’une intégration morale et religieuse » TRIBUNE Smaïn Laacher Sociologue Les agressions de Samara à Montpellier, de Shemseddine à Viry-Châtillon et de deux Algériens à Bordeaux révèlent la persistance, au sein de certaines communautés religieuses, d’un ordre social fondé sur une « solidarité mécanique » plutôt que sur une « solidarité organique », analyse le sociologue Smaïn Laacher dans une tribune au « Monde ». Le 24 avril 2024 à 13h15 Lecture 4 min Article réservé aux abonnés Offrir Trois événements récents ont suscité, à juste titre, interrogations et indignations : la très violente agression de Samara, 13 ans, à Montpellier, le 2 avril ; l’agression mortelle à Viry-Châtillon (Essonne), le 4 avril, de Shemseddine, un adolescent de 15 ans ; l’attaque de deux Algériens poignardés au couteau à Bordeaux, le 10 avril – faisant un mort et un blessé –, par un réfugié afghan parce qu’ils buvaient de l’alcool le soir de l’Aïd. Quel rapport entre ces trois situations ? A priori pas grand-chose, si ce n’est l’utilisation de la force brutale pour détruire quelqu’un. Il existe pourtant un point commun qui lie et relie ces trois drames. Dans chacun de ces cas, les agresseurs ont jugé que leurs victimes avaient commis un écart injustifiable à la norme légitime du groupe. Des responsables politiques et religieux n’ont pas manqué de relancer les habituelles polémiques sur le fait de savoir si, à Montpellier et à Viry-Châtillon, il y avait quelque motif religieux à cette haine. Le premier ministre, Gabriel Attal, a promis une « contre-attaque » de la République face à la violence des mineurs. Il faut, nous dit-il, « prendre le mal à la racine ». Sans plus de précision. Mais une chose paraît, pour lui, acquise : le remède, lorsqu’un jeune « tombe » dans la délinquance, c’est de l’envoyer en internat. Est-ce bien suffisant ? Ces mesures constituent-elles une politique publique à long terme ? Lire le décryptage Justice des mineurs : l’option répressive de Gabriel Attal A Bordeaux, le motif religieux est au fondement du meurtre. A Montpellier et à Viry-Châtillon, l’acte religieux prête à de multiples disputes. On ne peut réduire la pratique religieuse à un cri, celui d’« Allahou akbar ». L’islam ne signe pas son « authenticité », sa visibilité et sa force d’imprégnation seulement par des hurlements de haine. Pour paraphraser le sociologue Max Weber, dans cette corrélation entre éthique islamique (qui n’est pas l’islamisme politique) et « esprit communautaire », les idées religieuses et leur influence sur les pratiques quotidiennes et les hiérarchies sociales et sexuelles ne font aucun doute. « Commun totalitaire » Mais en réalité, ce qui est apparu inadmissible pour les justiciers, novices ou confirmés, c’est l’existence, dans la « communauté », de traîtres et de renégats. Le traître est celui qui a trompé la confiance. Le renégat est celui qui a abjuré un code social dominant, tissé sur une trame de morale religieuse. A Montpellier, à Viry-Châtillon et à Bordeaux, ceux et celle qui ont « fauté » ont commis l’irréparable. Ils ont trahi et ils ont renié ce qui était considéré comme sacré : l’attachement ostentatoire à la communauté (l’umma, le groupe des croyants). Le traître renégat enfreint un tabou. Il ne se contente pas de se mettre à l’écart du groupe : il refuse de prendre part à la production et à la reproduction d’une sorte de « commun totalitaire », mettant ainsi à mal la transmission d’un ordre singulier du monde. Lire aussi le reportage Contre la violence des jeunes, Gabriel Attal vante sa méthode répressive à Nice La « contre-attaque » de la République restera, en particulier pour les parents de Samara et de Shemseddine, une expression vaine tant que des groupes s’autodécréteront les vigiles d’une intégration morale et religieuse bannissant, par la violence et la mort, tous ceux qui, par leur conduite et leurs convictions, interrompent la transmission supposée de l’identité ethnique et confessionnelle du groupe. Cette interruption est en effet vécue comme une atteinte impardonnable à tout (textes, mosquée, langage, vêtements, alimentation, rapports homme-femme, etc.) ce qui lie par un lien indéfectible, jusqu’à la mort et au-delà, l’individu et le groupe. Or, une transmission dont les principes n’emportent plus totalement l’adhésion annonce l’entrée dans un processus d’affaiblissement culturel et cultuel du groupe, qui repose sur l’idée que « nous ne sommes pas comme les autres ». Et ce « nous » doit être intransigeant sur les normes, les principes et les valeurs. LA SUITE APRÈS CETTE PUBLICITÉ Voilà pourquoi un mécréant (réel ou supposé) doit être surveillé, contrôlé dans ses moindres faits et gestes et littéralement supprimé dès que l’on aura établi de sa part le moindre écart, non pas à la loi, mais à la règle. On peut, sans forcer le trait, mettre en lien totalitarisme et religion lorsque cette dernière prétend gouverner, dans les espaces privés et publics, les esprits et les corps. Le totalitarisme emprunte d’ailleurs fortement à la religion, à ses rites, à ses symboles, à sa vision du monde. Celles et ceux qui ont assassiné Shemseddine à Viry-Châtillon, tabassé Samara à Montpellier, n’étaient peut-être pas tous des musulmans pratiquants ; mais, comme en religion, ils avaient le culte du contrôle des filles, de l’honneur du groupe et de sa confession majoritaire, de sa réputation, qui n’est rien d’autre que la préservation de la réputation des hommes. Désir salutaire Bien entendu, loin de moi l’idée de généraliser. Ces gardiens des mœurs constituent en France une minorité de petits talibans de cité agissant d’abord et avant tout dans des microterritoires où ils sont hégémoniques. On peut comprendre que ces univers soient si étouffants et si angoissants que vouloir en sortir procède d’un désir salutaire. L’obligation de conformité évaluée par le groupe à chaque instant, les rappels à l’ordre de la bonne conduite parfois très violents, l’usage de la liberté perçue et comprise comme un authentique blasphème donnent à voir une forme profondément dégradée de l’intégration sociale et culturelle. Nous ne sommes plus au temps de la fin du XIXe siècle où Emile Durkheim étudiait les formes de solidarité sociale et, en particulier, la « solidarité mécanique » fondée sur l’existence d’une conscience collective élevée ne tolérant aucun écart à la norme, mais qui assurait, il est vrai, une incorporation à la communauté et bornait ainsi l’horizon de chacun de ses membres. Ce type de solidarité par similitude, l’équivalent d’une « communauté ethnique » aujourd’hui, privilégie des modes de régulation essentiellement répressifs. Lire aussi le décryptage Gabriel Attal en quête d’« autorité » pour enrayer la violence d’une partie de la jeunesse Le problème est que la communauté imaginée qui se reproduit, entre autres, dans l’exercice quotidien de mille et une petites privations et violences interdit le passage à une « solidarité organique », fondée non plus sur les similitudes, mais sur les différences entre les individus et leur complémentarité. Or, cette configuration est caractéristique des sociétés modernes. Ce n’est donc pas à l’Etat seul, mais à toute la société de puiser dans ces tragédies quelques leçons de morale et de politique. Smaïn Laacher est sociologue, professeur émérite à l’université de Strasbourg. Il est directeur de l’Observatoire du fait migratoire et de l’asile de la Fondation Jean Jaurès. Il a publié « L’Immigration à l’épreuve de la nation » (L’Aube, 200 p., 20 €). Smaïn Laacher (Sociologue) NOS LECTEURS ONT LU ENSUITE Yasmina Liassine : « L’Algérie dont on parle n’est pas celle que j’ai connue » Le 28 avril 2024 à 05h45 Délinquance des mineurs : « Les effectifs des éducateurs de rue sont devenus une variable d’ajustement économique » Le 24 avril 2024 à 05h00 Sacha, 48 ans, prostitué : « Mes clientes, elles prennent rendez-vous un mois à l’avance. Elles ont déjà posé leur RTT et prévu à quelle heure ça se finirait » Le 04 mai 2024 à 06h00 « Arrêt sur images » dénonce le « harcèlement raciste » visant Nassira El Moaddem, une de ses journalistes Le 03 mai 2024 à 20h44 Automobile : la holding des Peugeot chahutée par des actionnaires minoritaires Le 04 mai 2024 à 09h19 En réaction aux manœuvres d’Israël, le procureur de la CPI met en garde contre toute entrave à la justice Le 04 mai 2024 à 09h58 CONTRIBUTIONS Bienvenue dans l’espace des contributions Pour améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation. Voir les contributions