~~NOTOC~~ @DATE@ ---- ====== Quand la Réalité prime : Le Monde – Elections européennes : une campagne marquée par le recul de l’ambition écologique ====== Le Monde – Elections européennes : une campagne marquée par le recul de l’ambition écologique Vous pouvez partager un article en cliquant sur l’icône de partage en bas à droite de celui-ci. La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite. Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente. Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr. En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ». lemonde POLITIQUE Elections européennes : une campagne marquée par le recul de l’ambition écologique Erigés en bouc émissaire ou invisibilisés, les enjeux climatiques sont presque absents des débats pour le scrutin du 9 juin. Au risque de désespérer scientifiques et militants sur la capacité des politiques à agir pour l’environnement. Par Julie Carriat et Matthieu Goar Par Julie Carriat et Matthieu Goar Par Julie Carriat et Matthieu Goar Aujourd’hui à 05h45, modifié à 10h31 Lecture 8 min Article réservé aux abonnés Offrir Manifestation contre la métropolisation, la bétonisation et l’artificialisation des terres à l’appel de plusieurs collectifs de militants écologistes tels Sauvons les Gohards ou Les Soulèvements de la Terre, à Nantes, le 6 avril 2024. THOMAS LOUAPRE / DIVERGENCE Un sondage, comme un reflet du désespoir scientifique. Le quotidien britannique The Guardian a interrogé 380 auteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur la capacité de l’humanité à freiner le réchauffement de la planète. D’après les résultats de cette étude, publiée le 8 mai, près de 80 % d’entre eux anticipent un réchauffement climatique d’au moins 2,5 °C à la fin du siècle, soit largement au-dessus du seuil le moins ambitieux de l’accord de Paris sur le climat (+ 2 °C). Près de la moitié se projettent sur + 3 °C, soit la trajectoire actuelle de réchauffement. Un signe important de défiance à l’égard des gouvernements. Et pourtant, à moins de vingt jours des élections européennes du 6 au 9 juin, les enjeux climatiques, et plus largement l’environnement, sont relégués à la périphérie de la campagne électorale française. Percuté par des questions qui semblent plus urgentes, instrumentalisé par une partie du spectre politique qui l’érige en symbole des prétendus « diktats » bruxellois, invisibilisé par des dirigeants soucieux de ne pas heurter les opinions… Le défi planétaire n’apparaît qu’en filigrane, sous l’œil désabusé des climatologues français. « Parfois, on se dit qu’on ne fait pas le poids, soupire Jean Jouzel, paléoclimatologue. Nos compatriotes savent que le climat change, mais on ne passe pas à l’étape de l’action, comme si ce combat restait un défi de long terme. Mais le CO2 que l’on accumule maintenant dans l’atmosphère aura des conséquences sur le climat de maintenant et sur celui de 2050. » Un changement d’ambiance radical par rapport aux élections européennes de 2019. Poussés par les marches pour le climat, les responsables politiques avaient mis l’enjeu écologique au cœur de la campagne. Puis, Ursula von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission, avait poussé un agenda ambitieux, le « Fit for 55 » – il prévoit de faire baisser de 55 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030. Mais, depuis 2022, les conséquences de la guerre en Ukraine, l’inflation, le retour de la question de la dette puis la crise agricole ont, peu à peu, gelé les initiatives et les propositions. Le scrutin du 9 juin est pourtant crucial. Après le vote de nombreux textes dans le cadre du Pacte vert européen, la prochaine mandature (de 2024 à 2029) devra mettre en œuvre et amplifier cette ambition. « Chantiers titanesques » Comment financer cette transition et accompagner les entreprises et les citoyens ? Comment se diriger vers le 55 % en moins d’émissions de gaz à effet de serre tout en préparant la marche suivante, celle de la décennie 2030-2040, où la sobriété structurelle et les changements comportementaux deviendront indispensables pour espérer atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Lire aussi Elections européennes : le financement de la transition écologique, débat manqué de la campagne « Nous sommes confrontés à une campagne électorale où le sujet environnemental existe, mais il est surtout utilisé par beaucoup de partis politiques qui en font un sujet d’opposition, estime Caroline François-Marsal, responsable Europe au sein du Réseau Action Climat. Le grand risque est que le prochain mandat soit celui du détricotage, nous avons déjà assisté à cela au moment de la crise agricole. » Newsletter « Politique » Chaque semaine, « Le Monde » analyse pour vous les enjeux de l’actualité politique S’inscrire Dans un rapport, publié le 18 janvier, le Conseil scientifique consultatif européen, après avoir évalué 80 indicateurs, s’alarmait du retard des politiques climatiques et recommandait une série d’actions, par exemple « éliminer de toute urgence, et complètement, les subventions néfastes aux combustibles fossiles » ou réduire les émissions du secteur agricole. Lire aussi : Protection de l’environnement : la France en retard par rapport à la moyenne européenne Autant de sujets que semblent vouloir éviter la plupart des responsables politiques français. « La mise en œuvre, c’est une multiplicité de chantiers titanesques, résume Nicolas Berghmans, responsable Europe au sein de l’Institut du développement durable et des relations internationales. En 2019, l’Union européenne [UE] a changé de braquet en traçant les trajectoires de long terme. Maintenant, il faut construire des filières dans de nombreux domaines, il faut rassurer les investisseurs sur la rentabilité économique, accompagner les ménages… » Toutes les formations politiques affichent des ambitions en recul ou les relèguent au second plan de leur projet. C’est le cas du camp présidentiel : lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait tenté d’imposer la France comme un acteur du climat sur la scène européenne et mondiale. Depuis, les argumentaires faisant de l’écologie un bouc émissaire ont fait leur œuvre, y compris dans son camp. L’Elysée évite désormais toute mention de contrainte écologique – contrainte pourtant jugée cruciale par la communauté scientifique –, et se concentre sur l’idée d’une croissance verte européenne. Valérie Hayer, tête de liste du camp macroniste pour le 9 juin, défend ainsi un plan Europe 2030 pour compléter le Pacte vert, en mettant « l’accent sur l’investissement, pour une écologie à l’européenne, faite de croissance, de production et d’innovation ». Lire aussi Elections européennes : donner un nouveau souffle à la conscience écologique La dominante géopolitique Mais c’est, sans doute, du côté du Rassemblement national (RN) que la bascule est la plus impressionnante. Depuis 2019, l’extrême droite de Marine Le Pen est passée du localisme et d’une défense d’une « excellence sanitaire agricole et environnementale » à un rôle de premier défenseur des pesticides. Coutumier des zigzags entre productivisme et défense des « petits », Jordan Bardella, tête de liste du RN, fustige désormais un Pacte vert européen accusé d’être facteur de « décroissance agricole au travers de l’écologie punitive ». A droite, François-Xavier Bellamy, tête de liste du parti Les Républicains, clamait lui aussi mardi 21 mai, sur LCI : « L’écologie politique ne prend pas au sérieux la question du climat : elle veut organiser la décroissance. » Lire aussi Comment le RN a basculé de « l’excellence environnementale » au « glyphosate indispensable » A gauche, les programmes des candidats comportent tous un volet écologique. Toutefois, ce thème se retrouve souvent relégué comme un axe secondaire. Dans le programme du candidat de Place publique et du Parti socialiste, Raphaël Glucksmann, il est ainsi articulé avec la dominante géopolitique, la défense de la démocratie face à la Russie de Vladimir Poutine. Celui qui entend faire triompher les sociaux-démocrates au niveau européen appelle à une « révolution écologique européenne » pour faire de l’UE une « puissance écologique ». Du côté de La France insoumise (LFI), Manon Aubry défend un protectionnisme et une planification écologique européenne. Toutefois, dans une campagne faisant la part belle à la défense de la cause palestinienne d’un côté, à la lutte contre l’Europe de l’austérité de l’autre, les enjeux climatiques passent au second plan. Restent les Verts. Ces derniers revendiquent d’être les seuls à continuer de parler d’écologie. Ils risquent pourtant de reculer, en nombre, au Parlement européen par rapport à 2019. En France, leur tête de liste, Marie Toussaint, clame que l’Europe demeure le bon échelon pour agir en matière environnementale. Mais, après leur bon score de 2019 (13,4 % et une troisième place), ils pâtissent du contexte politique et se retrouvent dans une position inconfortable, qu’ils connaissent bien, celle de force d’appoint à gauche, entre les socialistes et la gauche plus radicale de LFI. « Parfois, cette campagne se résume à des tweets insultants de [Jean-Luc] Mélenchon, et à une admiration des médias qui trouvent [Raphaël] Glucksmann trop beau. Mais il n’y a pas de fond, personne ne nous pose vraiment des questions sur l’écologie », déplore Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes. Par ailleurs, la liste des Verts ne bénéficie plus de l’élan des jeunes qui marchaient pour le climat, en 2019. « Ils continuent à militer, mais c’est moins joyeux, c’est devenu sombre, relate David Cormand, eurodéputé écologiste sortant et numéro deux sur la liste. C’est complètement logique pour des jeunes gens, dont la réalité est un monde dont l’habitabilité n’est plus garantie. » La peur du « backlash » Au cœur de l’agenda de Bruxelles durant des années, l’écologie a peu à peu été invisibilisée. Une grande bascule semble s’être faite au début de l’année 2023. En parallèle de la montée de l’inflation, de la morosité économique, notamment en Allemagne, et de la perspective des élections européennes, une angoisse s’est installée dans les cabinets politiques : celle du « backlash », le retour de bâton des opinions qui ne seraient pas prêtes à faire des efforts dans un monde si instable. Pendant toute l’année 2023, l’Elysée a mis en avant cette théorie en affirmant que de nouvelles mesures contraignantes profiteraient à l’extrême droite. De ce fait, beaucoup de candidats ne débattent même pas des sujets les plus concernants. Ainsi, la fin de la vente des véhicules neufs à moteur thermique en 2035 est seulement évoquée par ses opposants, à l’instar de M. Bellamy, prédisant que l’Europe allait devenir « Cuba, avec des véhicules hors d’âge ». Les autres partis restent atones. « L’immense défi de notre génération politique est d’arriver à traduire l’approche scientifique du GIEC en objets économiques et sociaux, pense Antoine Armand, député (Renaissance) de Haute-Savoie. Mais il y a aussi une conscience aiguë, peut-être surestimée, d’un possible “backlash” avec une société où le mot “interdit” est diabolisé. Il faut jongler avec tous ces impératifs. » La peur du « backlash », une évidence à l’heure des populismes, ou un prétexte à l’inaction ? La réponse est complexe. Dans certains sondages, la préoccupation climatique recule, tout en restant dans les cinq priorités des Français. Dans d’autres, elle reste stable, en se situant par exemple en seconde position de la grande enquête de l’Ipsos, en partenariat avec le Cevipof, l’Institut Montaigne, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde, publiée le 29 avril. Malgré la dureté du contexte géopolitique et économique, l’anxiété écologique ne disparaît pas. « L’appropriation des citoyens peut paraître lente, mais elle est réelle, décrypte Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova. A cause d’autres actualités, la préoccupation climatique peut redescendre, mais elle ne retombe jamais aussi bas que lors de la précédente crise. Pour les politiques, tout est une question de dosage, pour embarquer sans effrayer et paralyser. » Entre lassitude et irritation Traumatisés par la crise des « gilets jaunes » et par la récente fronde agricole, les politiques ne veulent pas brusquer l’opinion. Un écueil pour la transition climatique, qui pourrait ainsi rester bloquée au milieu du gué. « Il y a des actualités très fortes et, dans l’urgence du moment, les questions environnementales ne sont pas toujours posées. Mais, qu’on le veuille ou non, le sujet s’imposera à nos sociétés, espère Jean-Marc Zulesi, député (Renaissance) des Bouches-du-Rhône et président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. Et, lors de ces élections européennes, il y a aussi un risque qu’une partie de notre électorat glisse vers quelqu’un à la mode, comme [Raphaël] Glucksmann. » « Dans l’Eurobaromètre [un ensemble d’études menées au sein de l’UE], l’intérêt des Européens pour les questions climatiques reste incroyablement élevé, année après année, c’est une lame de fond. Et je vois plutôt un divorce entre ce que la population attend et ce que font les dirigeants », tranche Thomas Pellerin-Carlin, en neuvième position sur la liste de M. Glucksmann. Face à cette campagne, scientifiques et experts hésitent entre lassitude et irritation. S’ils multiplient les tribunes et les posts sur les réseaux sociaux, beaucoup s’interrogent sur la capacité des politiques à mener ce combat. « Tout le monde a quelque chose à dire sur le sujet, ce qui est relativement nouveau. C’est une bonne avancée, se félicite Matthieu Auzanneau, directeur du think tank The Shift Project. Mais il n’y a pas de volonté de passer à la prochaine étape : celle de la sobriété structurelle, du combat de société que portent en eux les termes de Green Deal, une référence au New Deal [la politique mise en place dans les années 1930 aux Etats-Unis pour faire face à la crise économique]. Or, nous sommes face à un effort de guerre. » Une faille au sein des partis Dans le mouvement en faveur du climat, poussé par des jeunes qui multiplient les actions, les doutes laissent place à un profond scepticisme. « Il y a un grand risque que l’écologie devienne, peu à peu, le bouc émissaire de toutes les crises : la cause de l’augmentation du coût de la vie ou de la montée du chômage, s’alarme Jean-François Julliard, directeur de l’association Greenpeace. Et ça vient aussi des plus hautes sphères de l’Etat, qui accusent les écologistes, les décrivent comme des coupables, comme les violents de l’histoire, opposés au progrès… » Cette faille entre le monde politique et les milieux écologistes traverse même les partis. Dans une grande enquête réalisée auprès de 10 000 personnes par Europe Ecologie-Les Verts en 2023, au moment de lancer le mouvement Les Ecologistes, près de 50 % des 15-19 ans, proches du parti, se prononcent en faveur de manifestations et d’actions coup de poing. Un résultat bien au-dessus de celui des autres générations… « Le risque, c’est que ce sentiment se traduise par un désengagement démocratique, quelque chose d’un peu dépressif…  », s’inquiète M. Cormand. Comme si la cause climatique, après les années de prise de conscience, cherchait maintenant son second souffle. « Encore et encore, il nous faut dessiner l’horizon de ce que serait une société écologique », assume Yannick Jadot, marqué par la déception de la présidentielle de 2022 (il n’avait obtenu que 4,3 %). A condition que la société actuelle soit prête à en débattre au milieu des autres fracas du monde… Lire aussi : Qui sont les candidats aux élections européennes de 2024 ? Julie Carriat et Matthieu Goar NOS LECTEURS ONT LU ENSUITE Jordan Bardella, l’Italien : retour sur les origines piémontaises du chef de file du RN aux élections européennes Aujourd’hui à 05h00 Comment TotalEnergies et la diplomatie française travaillent main dans la main Aujourd’hui à 05h45 Elections européennes : le financement de la transition écologique, débat manqué de la campagne Aujourd’hui à 05h00 A deux semaines des élections européennes, un débat crucial entre Gabriel Attal et Jordan Bardella Aujourd’hui à 06h00 Au p’tit bonheur : « C’est ça le bonheur en fait : c’est avoir du temps. Je ne connaissais pas » Aujourd’hui à 05h15 Les écologistes allemands, cibles privilégiées de la droite et de l’extrême droite Aujourd’hui à 07h00 CONTRIBUTIONS Bienvenue dans l’espace des contributions Pour améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation. Voir les contributions