2025/09/18 02:02
DÉBATS TIKTOK « La suspension de TikTok ne suffit pas à elle seule à endiguer un problème de fond » TRIBUNE Julien Labarre
Politiste
Si certains réseaux sociaux jouent bien un rôle dans le rejet des institutions et la coordination d’actions violentes, TikTok ne semble pas en faire partie, analyse le politiste Julien Labarre, dans une tribune au « Monde », avant de rappeler la nécessité d’un débat plus large sur la régulation des plates-formes.
Publié hier à 16h00 Temps deLecture 2 min.
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Confronté depuis plusieurs jours à un regain de contestations et de violences en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français a mis à exécution une menace déjà formulée lors des émeutes de l’été 2023 : la suspension de TikTok. Beaucoup pointent les réseaux sociaux comme les principaux responsables du regain de mécontentement et des violences.
A l’aune de la récente décision du Congrès américain de voter l’interdiction éventuelle de TikTok [si le réseau social refusait de couper ses liens avec sa maison mère, ByteDance, et plus largement avec la Chine], l’application chinoise apparaît comme un coupable idéal. Cependant, une analyse plus approfondie du lien entre réseaux sociaux et sentiment antidémocratique révèle une réalité plus complexe.
En effet, une étude que j’ai coécrite en collaboration avec Bruce Bimber, Daniel Gomez, Ilia Nikiforov et Karolina Koc-Michalska, publiée dans la revue scientifique The International Journal of Press/Politics, ne corrobore pas l’idée selon laquelle TikTok contribuerait de façon significative au rejet des élites et des institutions, ni même au complotisme. Outre les plates-formes liées à la « fachosphère », telles que Gab, Rumble ou Truth Social, notre étude montre que ce sont les plates-formes favorisant des liens forts entre utilisateurs, comme Facebook, Snapchat et WhatsApp, qui contribuent le plus au rejet des élites et des institutions, ainsi qu’aux croyances complotistes.
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Il n’est, en revanche, pas démontré que les plates-formes telles que X (ex-Twitter), Instagram, Threads ou même TikTok, qui promeuvent des interactions entre individus qui ne se côtoient souvent pas dans la vie réelle, soient responsables du rejet – parfois violent – de nos institutions.
Un terreau fertile La situation en Nouvelle-Calédonie peut s’expliquer en partie par cette dynamique. Le mécontentement face au référendum sur l’indépendance de 2021, perçu comme illégitime en raison de la faible participation et de la pandémie de Covid-19, a trouvé un terreau fertile sur des plates-formes comme Facebook ou WhatsApp. Ces espaces permettent aux utilisateurs de renforcer mutuellement leurs griefs et de diffuser allègrement des idées extrémistes et complotistes.
Lire aussi la tribune | Article réservé à nos abonnés « La restriction de TikTok en Nouvelle-Calédonie ne peut être qualifiée ni de nécessaire ni de proportionnée »
La plate-forme de Mark Zuckerberg souffre par ailleurs d’une autre vulnérabilité structurelle facilitant à la fois la propagation d’idées corrosives pour la démocratie et la coordination d’actions violentes : la possibilité pour les utilisateurs de rejoindre des groupes d’intérêt à caractère politique ou idéologique. Cette fonctionnalité permet à tout utilisateur mécontent de s’associer à des semblables pour cultiver des idées parfois résolument antidémocratiques et, éventuellement, de coordonner des actes de violence. S’il est possible que TikTok ait aussi pu contribuer à la coordination d’actions violentes, il n’est pas évident que TikTok, en soi, représente un problème plus important que les autres plates-formes.
Source : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/03/la-suspension-de-tiktok-ne-suffit-pas-a-elle-seule-a-endiguer-un-probleme-de-fond_6237093_3232.html « La suspension de TikTok ne suffit pas à elle seule à endiguer un problème de fond » Confronté depuis plusieurs jours à un regain de contestations et de violences en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français a mis à exécution une menace déjà formulée lors des émeutes de l’été 2023 : la suspension de TikTok. Beaucoup pointent les réseaux sociaux comme les principaux responsables du regain de mécontentement et des violences.
A l’aune de la récente décision du Congrès américain de voter l’interdiction éventuelle de TikTok [si le réseau social refusait de couper ses liens avec sa maison mère, ByteDance, et plus largement avec la Chine], l’application chinoise apparaît comme un coupable idéal. Cependant, une analyse plus approfondie du lien entre réseaux sociaux et sentiment antidémocratique révèle une réalité plus complexe.
En effet, une étude que j’ai coécrite en collaboration avec Bruce Bimber, Daniel Gomez, Ilia Nikiforov et Karolina Koc-Michalska, publiée dans la revue scientifique The International Journal of Press/Politics, ne corrobore pas l’idée selon laquelle TikTok contribuerait de façon significative au rejet des élites et des institutions, ni même au complotisme. Outre les plates-formes liées à la « fachosphère », telles que Gab, Rumble ou Truth Social, notre étude montre que ce sont les plates-formes favorisant des liens forts entre utilisateurs, comme Facebook, Snapchat et WhatsApp, qui contribuent le plus au rejet des élites et des institutions, ainsi qu’aux croyances complotistes.
Il n’est, en revanche, pas démontré que les plates-formes telles que X (ex-Twitter), Instagram, Threads ou même TikTok, qui promeuvent des interactions entre individus qui ne se côtoient souvent pas dans la vie réelle, soient responsables du rejet – parfois violent – de nos institutions.
Un terreau fertile La situation en Nouvelle-Calédonie peut s’expliquer en partie par cette dynamique. Le mécontentement face au référendum sur l’indépendance de 2021, perçu comme illégitime en raison de la faible participation et de la pandémie de Covid-19, a trouvé un terreau fertile sur des plates-formes comme Facebook ou WhatsApp. Ces espaces permettent aux utilisateurs de renforcer mutuellement leurs griefs et de diffuser allègrement des idées extrémistes et complotistes.
Lire aussi la tribune | Article réservé à nos abonnés « La restriction de TikTok en Nouvelle-Calédonie ne peut être qualifiée ni de nécessaire ni de proportionnée » La plate-forme de Mark Zuckerberg souffre par ailleurs d’une autre vulnérabilité structurelle facilitant à la fois la propagation d’idées corrosives pour la démocratie et la coordination d’actions violentes : la possibilité pour les utilisateurs de rejoindre des groupes d’intérêt à caractère politique ou idéologique. Cette fonctionnalité permet à tout utilisateur mécontent de s’associer à des semblables pour cultiver des idées parfois résolument antidémocratiques et, éventuellement, de coordonner des actes de violence. S’il est possible que TikTok ait aussi pu contribuer à la coordination d’actions violentes, il n’est pas évident que TikTok, en soi, représente un problème plus important que les autres plates-formes.
Les débats autour de TikTok, portant sur l’incitation à la violence, l’influence étrangère, l’abrutissement supposé de notre jeunesse, l’addiction ou encore la promotion de l’automédication, sont tous parfaitement légitimes. En revanche, il est essentiel que les décideurs comprennent que la suspension de TikTok, bien qu’opportune dans une situation de crise, ne suffit pas à elle seule à endiguer un problème de fond à long terme.
Une approche plus large est nécessaire pour aborder les causes profondes du mécontentement démocratique et pour éviter que celui-ci ne se matérialise de façon violente dans la sphère publique. Cela inclut un débat plus vaste sur la régulation des plates-formes de réseaux sociaux et la promotion de plates-formes et de médias responsables qui fournissent des informations factuelles et diversifiées.
Julien Labarre est doctorant en sciences politiques à l’université de Californie à Santa Barbara (Etats-Unis) et administrateur du Centre pour la recherche sur les technologies de l’information et la société. Ses travaux portent sur l’information politique, les médias et les pathologies de la démocratie.