Dans sa rubrique « confidentiels », le magazine Challenges a livré ces dernières semaines des informations sur l’actionnariat de TotalEnergies. Informations sensibles sachant que l’assemblée générale du groupe s’est révélée, comme chaque année, plutôt agitée. Le 2 mai (n° 828), alors que le patron Patrick Pouyanné avait laissé entendre qu’il pourrait faire coter l’entreprise à Wall Street, nous revenions ainsi sur une rencontre, le 12 avril dernier, qui s’est tenue entre le PDG français et le patron et fondateur de l’américain BlackRock, Larry Fink. En précisant que le groupe financier américain était « principal actionnaire avec 6,5 % du capital ». Lire aussiTotalEnergies : pourquoi Patrick Pouyanné envisage une cotation principale à Wall Street Puis le 16 mai (n° 830), nous révélions que le directeur général du Crédit agricole, pour la première fois en quatre ans, n’avait pas reçu Lucie Pinson, qui pilote l’ONG Reclaim Finance, avant l’assemblée générale de la banque. Nous précisions au passage que « selon les données de Bloomberg, le groupe Crédit agricole est le premier actionnaire de TotalEnergies, à 12,2 % ». Concernant le rendez-vous avec Lucie Pinson, la banque nous a fait savoir après parution, que la patronne de Reclaim Finance avait été reçue, mais pas par Philippe Brassac : « Comme d’autres ONG, Lucie Pinson a été reçue par Eric Campos, directeur de l’engagement sociétal et membre du comité exécutif de Crédit agricole S.A le 3 mai 2024. » Mais là n’est sans doute pas l’essentiel. Le plus important, et déroutant pour nos lecteurs attentifs, est de savoir qui est effectivement le plus gros actionnaire de TotalEnergies. BlackRock, avec 6,5 % ou le groupe Crédit agricole à 12,2 % ? Une information à la fois symbolique et explosive quand on sait combien l’engagement des institutions financières dans les énergies fossiles est aujourd’hui scruté. Lire aussiAvec 700 milliards de dollars, le financement des banques aux énergies fossiles recule légèrement en 2023 Les précisions de TotalEnergies L’affaire mérite donc une petite contre-enquête. D’abord, pour rire, on pose la question « qui est le plus important actionnaire de TotalEnergies ? » à une intelligence artificielle, en l’occurrence Copilot, une IA développée par Microsoft. Réponse du robot : « Avec 7,4 % du capital, les salariés sont le 1er groupe d’actionnaires de TotalEnergies et ont reçu à ce titre environ 525 millions d’euros de dividendes en 2023. » Aïe : aucune des deux informations publiées n’est la bonne. L’IA a raison. En page 401 du rapport annuel 2024 de TotalEnergies, il est bien précisé que les salariés détenaient 7,4 % du capital au 31 décembre 2023. On retrouve aussi dans ce document le chiffre de 6,5 % de participation de BlackRock. Donc, si on considère que les salariés ne sont pas vraiment des actionnaires comme les autres, c’est bien l’américain qui est « l’actionnaire le plus important ». Mais concédons que Challenges aurait dû préciser « derrière les salariés ». En tout cas, aucune trace d’une quelconque participation du Crédit agricole, et encore moins à hauteur de 12,2 %. Lire aussiSanofi, TotalEnergies… Quelles sont les actions françaises préférées des meilleurs gérants de fonds mondiaux ? Position clé d’Amundi Le diable est dans les détails. Dans la même page 401 du rapport annuel, une note en petits caractères apporte des précisions à la ligne « salariés de la compagnie », dans le tableau de l’actionnariat. Il est précisé qu’Amundi Asset Management assure la gestion du FCPE TotalEnergies Actionnariat France, un fonds qui détient 4,6 % du capital, soit l’essentiel des 7,4 % qui sont entre les mains des salariés. On apprend aussi qu’Amundi, « société holding d’Amundi Asset Management », a déclaré le 14 février 2024 à la Securities and exchange commission (l’équivalent de l’Autorité des marchés financiers aux Etats-Unis) qu’elle détenait 9,5 % du capital de la société. Lire aussiAmundi déploie ses résolutions pour verdir l’économie Amundi, bras armé du Crédit agricole dans la gestion d’actifs, est donc, d’après le rapport annuel de TotalEnergies, le premier actionnaire. Mais attention, cette participation est gérée, comme celle de BlackRock, pour compte de tiers, et en l’occurrence en grande partie pour le compte des salariés. Des actions qui sont un peu spécifiques, puisque Amundi a précisé à l’autorité américaine des marchés « qu’il n’avait pas de droit exclusif de vote ou de cession sur ces actions et qu’il avait un droit conjoint de vote sur 48 862 604 de ces actions (soit 2,1 % des droits de vote de la société) et un droit conjoint de cession sur la totalité de ces actions ». Si vous n’avez rien compris à ce charabia, ce n’est pas grave. Retenons simplement que, d’après le rapport annuel, en termes de droits de vote, BlackRock en détient 6,1 % (pour 6,5 % du capital), et les salariés 7,6 % (dont 4,7 % via le FCPE). Bref, les salariés sont un peu mieux traités en la matière que l’américain. L’information de Bloomberg A cette étape, pour revenir à l’actionnariat, on peut donc affirmer qu’effectivement BlackRock n’est pas le premier actionnaire avec ses 6,5 %, mais qu’il s’agit bien du groupe Crédit agricole, en l’occurrence via sa filiale Amundi, qui est à 9,5 %. Reste à expliquer ce chiffre de 12,2 % que nous avons publié le 16 mai dernier. Pour s’y retrouver, il faut se fier à Bloomberg. Une source plutôt fiable, puisqu’elle est très largement utilisée par les investisseurs professionnels. A la différence du rapport annuel, la répartition du capital n’est pas arrêtée à fin décembre mais mis à jour quotidiennement en fonction des achats et ventes de titres en Bourse. Au 23 mai dernier, la situation concernant les principaux actionnaires est donc la suivante : BlackRock : 8,76 % FCPE TotalEnergies Fund : 8,13 % Vanguard Group : 5,35 % Credit Agricole Group : 4,67 % En ajoutant les 8,13 % du FCPE géré par Amundi et les 4,67 % de Crédit agricole on tombe sur 12,8 %. Un peu au-dessus du pointage à 12,2 % que nous avions réalisé début mai. Pour être bien précis, on dira que Crédit agricole Group chapeaute, outre Amundi, d’autres entités susceptibles de détenir des actions TotalEnergies, comme CA Indosuez ou encore CPR AM. Vanguard est aussi là Les curieux auront observé qu’outre BlackRock et Crédit agricole-Amundi, TotalEnergies dispose, toujours selon Bloomberg, d’un troisième actionnaire de poids, le groupe Vanguard. Il s’agit tout simplement du principal concurrent de BlackRock, qui gère 9 000 milliards de dollars d’actifs. Vu le poids des participations de ces deux géants de la finance américaine, on comprend que la tentation de Wall Street existe du côté de TotalEnergies. Surtout quand le principal actionnaire français du groupe semble presque se cacher. challenges